La comédie-ballet d’hier à aujourd’hui : un genre artistique hybride ? Extrait de l’intervention de Matthieu Franchin, le 20 octobre 2020.

QUELQUES ÉLÉMENTS DE CONTEXTE AUTOUR DE LA COMÉDIE-BALLETBIBLIOGRAPHIE

Quelle est la place des comédies-ballets dans l’œuvre de Molière ?

2 éléments nous montrent l’importance qu’occupent les comédies-ballets dans l’œuvre de Molière :

  • Elles représentent un tiers de sa production dramatique (pour la carrière parisienne de Molière entre 1659 et 1673, 12 pièces sur 29 ont été créées avec musique et danse).
  • Constance chronologique : de 1661 à 1673, on a une moyenne d’une pièce créée par avec musique et danse. Il s’agit d’une période de création très intense, durant laquelle Molière collabore avec trois autres grands artistes : Jean-Baptiste Lully (dès 1661 avec la composition d’une courante pour Les Fâcheux, jusqu’en 1671 avec Psyché), Pierre Beauchamps (compositeur de la musique des Fâcheux, et chorégraphe pour toutes les comédies-ballets de Molière, de 1661 à 1673), et Marc-Antoine Charpentier (1672-1673).
Que faut-il entendre par « comédie-ballet » ?

Le terme est problématique. Sur les douze pièces avec musique et danse de Molière, il n’y a que Le Bourgeois gentilhomme qui, à l’époque, a été appelé formellement « comédie-ballet » (par Molière, dans la première édition de la pièce). Toutes les autres pièces sont intitulées seulement « comédie », ou au mieux « comédie mêlée de musique, et d’entrées de ballet » (Les Amants magnifiques), ou « comédie mêlée de musique et de danses » (Le Malade imaginaire).

De fait, l’appellation comédie-ballet est tardive. Elle ne recoupe qu’imparfaitement la réalité de ce répertoire, qui peut avoir plusieurs appellations : il s’agit bien d’un genre hybride, et surtout hétérogène.

Ces pièces sont cependant identifiables dans le corpus des œuvres de Molière, et on peut en dégager quelques caractéristiques fondamentales. Parmi celles-ci, le fait de comporter de la musique et de la danse. La présence de la danse est essentielle, et la présence seule de la musique n’est pas un critère qui, pris isolément, permet de définir la comédie-ballet. Par exemple, une pièce qui ne comporte qu’un air chanté, comme Le Médecin malgré lui (avec un air de Sganarelle), ne peut pas être appelée « comédie-ballet ».

Si la comédie-ballet, en tant que telle, est reconnaissable par la présence conjointe du chant et de la danse, il ne s’agit pas d’un genre fixe pour autant. Le corpus des œuvres de Molière témoigne d’expériences variées, des Fâcheux au Malade imaginaire, sans qu’il soit possible de déceler une évolution rectiligne, qui irait de progrès en progrès. Au contraire, on constate que Molière a parcouru tous les genres et tous les niveaux qui se présentaient à lui :

  • au bas de la hiérarchie, les petites comédies en un acte, en prose (Le Mariage forcé, Le Sicilien)
  • les comédies de registre plus élevé, entre trois et cinq actes, en prose (George Dandin, Monsieur de Pourceaugnac, Le Bourgeois gentilhomme, Le Malade imaginaire).
  • les comédies « galantes » (Les Fâcheux) ou héroïques (La Princesse d’Élide, Les Amants magnifiques)
  • la pastorale (La Pastorale comique)
  • et au sommet de la hiérarchie, la tragédie-ballet (Psyché)

Dans quel contexte et comment la comédie-ballet est-elle née ? Comment expliquer la présence de la musique au théâtre au XVIIe siècle ?

Si la présence de la musique au théâtre nous semble aujourd’hui, à nous, extraordinaire, ou intrusive, c’était tout l’inverse pour les spectateurs du XVIIe siècle. À cette époque, la musique avait un rôle beaucoup plus large, et avant tout fonctionnel : encadrer la représentation, et marquer le temps de la représentation théâtrale. La musique est l’un des « moteurs » de la représentation, à côté de l’éclairage, des costumes, des décors…

Toutes les pièces de théâtre (tragédies et comédies) étaient, à cette époque, agrémentées d’entractes musicaux, d’airs de musique instrumentale, pour marquer le passage d’un acte à l’autre. Ces entractes musicaux n’avaient cependant pas de rapport avec la pièce de théâtre (à la différence des intermèdes des comédies-ballets), mais étaient importants du point de vue de la vraisemblance, pour assurer la transition d’un acte à l’autre sans briser l’illusion. (Pour plus de précisions et d’exemples à ce sujet, suivre ce lien ou ce lien).

Par ailleurs, les archives du XVIIe siècle confirment que les liens entre théâtre et musique étaient forts : de nombreux musiciens étaient présents dans les troupes de comédiens à cette époque.

  • Notamment chez Molière, qui engage en 1643 et 1644, quatre musiciens et un danseur pour sa première troupe de L’Illustre Théâtre. Au retour à Paris, sa troupe engage à nouveau des « violons » : d’après le registre de La Grange, ils sont présents dès 1660, au nombre de quatre en 1662, et de douze en 1671.
  • Il en était de même pour les autres troupes de théâtre de cette époque.
  • Les comédiens et les comédiennes avaient aussi des compétences pour chanter et danser. On sait par exemple que Molière a dansé en 1655 à Montpellier dans Le Ballet des Incompatibles, aux côtés de Joseph Béjart. Plusieurs de ses rôles postérieurs incluent des passages dansés : Les Précieuses ridicules, Les Fâcheux (rôle de Lysandre), Le Mariage forcé (Sganarelle), Le Bourgeois gentilhomme. Il chantait aussi volontiers, en faisant du chant un ressort comique de son jeu (dans La Princesse d’Elide, Le Médecin malgré lui, Le Sicilien, La Pastorale comique, Le Misanthrope).
Quelle est la place de ces comédies-ballets dans le paysage théâtral de l’époque ?

Les comédies-ballets de Molière ne sont pas les premières pièces de théâtre à faire appel à de la musique, dans l’histoire du théâtre en France. D’autres formes existaient à cette époque, comme les tragédies à machines (Andromède de Pierre Corneille), les pastorales et comédies avec inclusion de chansons ou de danses. Il faut aussi citer le ballet de cour, qui pouvait lui aussi enchâsser des petites comédies ou des scènes parlées, au milieu des entrées de danseurs.

Cependant, les comédies-ballets de Molière ont fait date dans l’histoire, et ont inauguré une nouvelle façon d’inclure de la musique au théâtre, comme Molière le dit lui-même dans la préface des Fâcheux. La nouveauté de cette pièce n’était pas tant d’inclure de la musique, mais de proposer un nouveau type de rapport entre la musique et la pièce de théâtre (chercher davantage de relation entre la comédie, la musique et la danse).

La critique littéraire est unanime sur le fait que les comédies-ballets de Molière sont profondément originales par rapport à toutes les autres pièces créées jusqu’ici, et qu’un cap a été franchi par rapport à ce que proposaient ses contemporains. Comme le montre Bénédicte Louvat dans son étude Théâtre et musique : dramaturgie de l’insertion musicale dans le théâtre français, 1550-1680 (Paris, Champion, 2002), Molière a poussé plus loin que tous les autres la synthèse du théâtre, de la musique et de la danse, parfois même jusqu’à ses limites extrêmes. Les comédies-ballets mises au point par Molière présentent en outre une double qualité : les divertissements musicaux sont extrêmement développés, et surtout, très diversifiés. Molière propose une diversité inédite de formules pour insérer la musique et la danse dans ses pièces, selon de multiples combinaisons, avec une signification dramaturgique. Au même titre que le texte parlé, musique et danse sont capables de peindre des types, des situations, ou d’exprimer des passions.

Quelques exemples des frais pour la musique notés dans le registre de La Grange :

Frais ordinaires de la troupe en 1660, avec « violons ».

Frais ordinaires de la troupe en 1662, avec 4 violons.

Frais de 1671 à l’occasion de Psyché.

Frais de 1673 pour Le Malade imaginaire.

QUELQUES LIENS

Youtube :

Le Malade imaginaire, Théâtre du Châtelet, 1990 :

https://www.youtube.com/watch?v=vtl7KkcrhNQ&t=4945s

Infos ici : https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes10024/le-malade-imaginaire.html 

Le Bourgeois gentilhomme / Mise en scène Benjamin Lazar :

DVD ici : https://outhere-music.com/fr/albums/le-bourgeois-gentilhomme-en-dvd-alpha-700

(Uniquement musique) :

Lully, Les Amants magnifiques : https://www.youtube.com/watch?v=uahp3hKEVac

Lully, Le Bourgeois gentilhomme : https://www.youtube.com/watch?v=JRum32V_B9E

Lully, George Dandin : https://www.youtube.com/watch?v=SUHF1COU1AI

Lully, L’Amour médecin : https://www.youtube.com/watch?v=GzSITbIDVBg

Lully, Monsieur de Pourceaugnac : https://www.youtube.com/watch?v=UNF4rg9DLKc  

Sites internet, suggestions :

CMBV : http://www.cmbv.fr/ 

Alexandrin.org : https://alexandrin.org/   Autour du projet de mise en scène collective d’après les sources historiques, sur L’École des femmes de Molière. Plusieurs petits textes dans la catégorie « en coulisse ».  Voir aussi photos de costumes.

Iconographie Gallica :

La Princesse d’Élide en 1664 à Versailles :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84047904

Le Malade imaginaire en 1674 à Versailles :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626218b/f20.item

RESSOURCES DOCUMENTAIRES AUTOUR DE LA COMÉDIE-BALLET

1° Molière, Les Fâcheux (1661) : Préface

 « Jamais entreprise au théâtre…. »

Préface intéressante car elle revient sur la naissance de la comédie-ballet

Le texte en ligne peut se lire ici : http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/MOLIERE_FACHEUX.xml 

2° Molière, L’Amour médecin (1665) : « Au lecteur »

Autre texte de Molière à citer car il parle à nouveau de la comédie-ballet

Texte en ligne ici : http://www.toutmoliere.net/au-lecteur.html  

Total des comédies-ballets dans l’œuvre de Molière : 12 pièces sur 33, soit un tiers de sa production dramatique
AUTRES SOURCES AUTOUR DE LA COMÉDIE-BALLET

Les “compositeurs” de Molière

Rendez-vous sur PHILIDOR (Bases de données du Centre de musique baroque de Versailles).

Sites monographiques spécialisés